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Stéphanie Schaer, pilote et initiatrice de la start-up d’État « Signaux Faibles » : « L’algorithme de Signaux Faibles peut réellement contribuer à la préservation d’emplois et à la pérennité d’entreprises »

Tech&droit - Données, Intelligence artificielle
10/04/2019
Et si par le biais d’algorithmes basés sur des mécanismes d’apprentissage qui analyseraient des données relatives aux entreprises, il était possible de détecter, le plus en amont possible, des signes précoces de fragilité des entreprises pour prévenir leur défaillance ? C'est en tout cas l'objectif d'une start-up d'État, Signaux Faibles. Avec une cible : les PME, notamment dans l’industrie. Explications.
Actualités du droit : L'algorithme de Signaux Faibles permet de détecter 18 mois à l’avance des défaillances. Comment arrive-t-on à ce chiffre de 18 mois ?
Intervenir en amont de difficultés avérées permet de mobiliser davantage d’outils pour stabiliser la situation et apporter des financements ou des accompagnements et ceci dès que des premières fragilités apparaissent.
 
Les administrations publiques et organismes en charge d’une mission de service public détiennent ensemble des données d’une grande richesse sur la situation économique, financière et sociale des entreprises. Signaux Faibles croise ces données et les traite statistiquement avec un algorithme adapté (dit d’apprentissage automatique ou « machine learning ») qui analyse les trajectoires des entreprises qui ont été défaillantes (redressement ou liquidation judiciaire) ou ont fait face à des dettes sociales de plus de 3 mois consécutifs dans le passé.
 
Il détermine ainsi pour chaque entreprise, sur la base des données actualisées, une probabilité de défaillance ou de difficultés avérées à 18 mois. Dans le cadre de la phase expérimentale, ce chiffre de 18 mois a été identifié comme un optimum pour maximiser à la fois le temps d’anticipation et la précision de la détection.
 
Très concrètement, Signaux Faibles permet de transmettre mensuellement des alertes aux différentes administrations partenaires de ce nouveau service et en mesure de proposer une offre de service d’accompagnement ad hoc et proactive aux entreprises concernées.
 
ADD : Quelles sont les données que vous avez jugées pertinentes ? Est-ce que d’autres données pourraient être mobilisées dans l’avenir ?
Les données détenues par les administrations et exploitables par l’algorithme, c’est-à-dire avec un historique suffisant, sont complémentaires : les données financières apportent une visibilité sur les tendances de long terme de l’entreprise (rentabilité, ratios financiers, endettement, fonds propres), les données sur l’emploi permettent d'identifier des baisses d'activité ponctuelles tandis que les données sur les cotisations sociales alertent sur des tensions de trésorerie.
 
Ce faisceau d’indices permet à l’algorithme de dessiner le profil statistique des entreprises fragiles et de détecter des signes précoces de fragilité qui ont pu par le passé, sur ce secteur d’activité, conduire à des situations difficiles pour ces entreprises.
 
L’algorithme étant basé sur des méthodes d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique, il convient de l’enrichir en continu de données, historiques et mensuelles, et de différentes natures.
 
Dans le cadre de la poursuite de ces travaux, la start-up d’État Signaux Faibles qui développe au sein de l’État ce nouveau service, cherche encore à enrichir la démarche par de nouvelles données voire de nouveaux partenariats.
 
L’ambition est de décloisonner les acteurs publics au service des entreprises.
 
ADD : Sont-elles centralisées dans une seule base de données ?
Tout l’enjeu de Signaux Faibles, qui se nourrit de bases de données structurées de façons différentes, est d’arriver à les faire communiquer entre elles en utilisant comme fil conducteur le numéro SIRET de l’entreprise.
 
Une coopération renforcée entre plusieurs services de l'État
Signaux Faibles est le fruit d'une coopération entre :
– la Direction générale des entreprises (DGE) ;
 la Banque de France ; 
 la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ;
 l’Agence centrale des organismes de sécurité social (ACOSS) ;
 la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC) ;
 et une équipe dédiée.
 
ADD : Qui a accès à ces données, autrement dit comment est garantie la confidentialité ?
Les résultats, c’est-à-dire la liste des entreprises avec leur risque de défaillance ou de difficulté avérée à 18 mois, sont par la suite partagés dans la plus stricte confidentialité à un cercle restreint d’agents habilités et ceci aux seules fins de détecter et d’accompagner d’éventuelles fragilités des entreprises du territoire.
 
En pratique, ces résultats sont accessibles sur une plateforme numérique collaborative, conforme aux règles de sécurité des partenaires et notamment de la Banque de France et aux recommandations de l’ANSSI et uniquement ouverte aux agents des différents partenaires bénéficiant d’une habilitation spécifique (pour rappel, les partenaires du projet sont la Direction générale des entreprises, la Banque de France, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, la caisse nationale du réseau des Urssaf).
 
ADD : Avez-vous des objectifs statistiques précis ?
L’objectif partagé par les partenaires est bien entendu de diminuer le nombre de défaillances d’entreprises et la préservation des emplois. L’intervention très en amont des difficultés rend néanmoins toute mesure d’impact particulièrement délicate.
 
Grâce au recul de l’expérimentation, des moyens pour évaluer l’impact du service sont à l’étude.
 
Pour chaque intervention, sont par ailleurs comptabilisées les prises de contact utiles permettant au dirigeant de l’entreprise de disposer de nouveaux leviers d’accompagnement : c’est aujourd’hui le cas dans 83 % des visites réalisées suite au ciblage permis par Signaux Faibles.
 
ADD : Lorsqu’une société est détectée par l’algorithme, que se passe-t-il, concrètement ? Comment se passe la coordination avec les services de l’État qui vont aller au contact de ces entreprises signalées par l’algorithme ?
Les entreprises détectées et sélectionnées par les services se verront alors proposer, par les chargés de mission de la Direccte, les correspondants entreprises (notamment vers les TPE) de la Banque de France ou encore les services de l’Urssaf, les solutions les plus adaptées à leurs besoins (par exemple, outils du ministère du Travail en matière de développement des compétences, de formation professionnelle ou de prévention des licenciements économiques, etc.) pour consolider leur développement ou leur permettre de rebondir dans les meilleures conditions. Si la situation est dégradée ou risque de se dégrader très rapidement, le commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) intervient en lien étroit avec leurs partenaires régionaux (médiations des entreprises et du crédit, tribunal de commerce, etc.) et les comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI).
 
En 2018, 63 détections ont été réalisées par les services de la Direccte de Bourgogne-Franche-Comté et 48 visites ont conduit à une analyse de la situation avec le chef d’entreprise dans les 8 départements de la région. Dans 83 % des cas, elles sont désormais suivies et accompagnées, l’agent de la Direccte à l’origine de la prise de contact avec l’entreprise pouvant rester le point de contact et l’interlocuteur à même de conseiller et orienter le chef d’entreprise vers les bons interlocuteurs, une fois la confiance nouée et ceci dans la durée.
 
ADD : Quel accueil vous ont réservé les chefs d’entreprises que vous avez rencontrés à la suite d’une détection par l’algorithme de Signaux Faibles ?
L’agent de la Direccte qui rencontre le chef d’entreprise et analyse les raisons des fragilités détectées a une très bonne connaissance de la filière ou du secteur géographique de l’entreprise. Il rencontre régulièrement des chefs d’entreprises et connaît leur activité. Il a donc une bonne vision de l’entreprise et de son environnement, et apporte au chef d’entreprise l’opportunité de "lever la tête du guidon" et de "poser un diagnostic".
 
Rencontrant le chef d’entreprises au moment où les fragilités apparaissent, il apporte aussi des pistes de solutions, de stabilisation et de rebonds.
 
Dans la grande majorité des cas, le chef d’entreprise est à l’écoute des propositions d’accompagnement qui lui sont faites, qui peuvent aller d’un diagnostic ou audit flash, financé par les pouvoirs publics, à des mises en relation permettant le financement en situation parfois tendue de sa nouvelle stratégie (développement, innovation, export, etc.).
 
Une majorité de chefs d’entreprises est convaincue de la capacité, par des actions en amont 18- 24 mois, à prévenir et à éviter des défaillances. Signaux Faibles peut donc réellement contribuer à la préservation d’emplois et à la pérennité d’entreprises.
 
Le plan déploiement
– un déploiement progressif dans les prochains mois, en commençant par les régions Nouvelle-Aquitaine, Auvergne Rhône Alpes, Occitanie et Hauts-de-France ;
– un déploiement national de Signaux Faibles achevé d’ici la fin de l’année.


Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
 
Source : Actualités du droit