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Simon Polrot : « La problématique de la fiscalité du trading de cryptomonnaies n’est pas résolue »

Tech&droit - Blockchain
23/06/2017
Depuis 2009, date de la création de la première cryptomonnaie, les monnaies électroniques fonctionnant sur un réseau informatique pair à pair et décentralisé se sont multipliées. Le nombre de détenteurs de ces actifs, également. Quelle est la nature juridique de ces actifs ? Quelle est la fiscalité qui leur est applicable ? Le point avec Simon Polrot, avocat, Fieldfisher LLP.
 
Actualités du droit : Pouvez-vous, en quelques mots, nous dresser un panorama des cryptomonnaies existantes ?

Simon Polrot : Il existe plusieurs milliers de cryptomonnaies (comme NXT, Ethereum, LiteCoin, Dash, Bitshares ou Monero). Elles permettent de sécuriser les blockchains sur lesquelles elles sont émises avec des mécanismes de consensus particuliers.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus de tokens ou jetons, et moins de cryptomonnaie, parce que l’on peut très facilement créer des actifs sur la blockchain, non émis par la blockchain elle-même mais par un émetteur particulier et ce, pour un projet spécifique. De nouveaux tokens sont donc émis tous les jours.

Les principaux tokens, classés par capitalisation, sont le bitcoin, l’ether, le litecoin (un dérivé du bitcoin). Certaines catégories de cryptomonnaies ont pour objectif d’être plus respectueuses de la vie privée, c’est-à-dire de ne pas être traçables (des technologies particulières ont été créées pour rajouter un degré de sécurité, comme Monero, une cryptomonnaie développée en 2014, en open source, fonctionnant sur le principe de la preuve-de-travail).
 
AdD : Comment une cryptomonnaie est-elle créée ?

S.P. : La cryptomonnaie est créée par la blockchain et émise par le système informatique qui constitue la blockchain.  La validation de chaque nouveau bloc nécessite un consensus. Un certain nombre de cryptomonnaies sont émises et attribuées à chaque validation du code, à titre de rémunération du participant.

C’est le processus quasiment unique de création de cryptomonnaie. Ce n’est pas la même chose pour un token, qui est émis par une personne, qui le distribue ensuite comme il le souhaite.

AdD : Les cryptomonnaies sont-elles des moyens légaux de paiement ? Quelle est leur nature juridique ?

S.P. : Il n’y a pas de consensus, ni en Europe, ni dans le monde, sur la qualification juridique de ces cryptomonnaies et des tokens. En France, aucune loi, règlement, recommandation ne vient définir clairement le statut de ces actifs. Cependant, en application du droit des biens, par élimination les bitcoins et ethers sont considérés comme des biens meubles, classiques, sans caractéristique particulière.

Ce n’est pas forcément le cas de tous les pays. Ces cryptomonnaies sont reconnues officiellement dans certains pays, comme le Japon ou l’Australie, comme moyen de paiement légal. Dans d'autres pays, une qualification un peu différente est retenue. En Allemagne, par exemple, on lui applique le régime de la plus-value mobilière, donc on considère sur le plan fiscal qu’elles sont assimilables à des titres financiers. Mais en réalité, aujourd’hui, quasiment aucun pays n’a de réglementation précise sur le traitement fiscal de ces actifs.

Cette situation est intéressante, parce qu’elle laisse tout la place pour la création et l’innovation, dans la limite, cependant, de l’incertitude qu’elle pose pour certains acteurs. C’est le cas particulièrement pour ceux qui lancent des produits dans le domaine de la finance ou de l’assurance, qui sont des secteurs extrêmement réglementés : il y est difficile d’expérimenter sans avoir une certification par l’autorité de contrôle que tel usage est conforme.

Il y a des discussions en cours avec l’AMF et l’ACPR sur certain projets particuliers (par exemple, sur le statut de cryptomonnaie dans des cas d’usage précis). A priori, il devrait donc y avoir quelques avancées de ce côté-là. En réalité, l’absence de cadre juridique est aussi liée à l’absence de cas d’usage réels. La multiplication actuelle de ces cas d’usage amène donc le législateur à se pencher davantage sur le sujet.
 
AdD : Faut-il déclarer ses revenus lorsque l’on vend des cryptomonnaies ? Et ce, même si le porte-monnaie virtuel est hébergé à l’étranger ?

S.P. : L’impôt français est mondial. Si vous êtes de nationalité française, vous êtes imposé sur l’ensemble de vos revenus, quel que soit leur lieu de situation. Tous les revenus réalisés avec les cryptomonnaies sont donc imposables, en tant que revenu (BOI, 11/07/2014 : BNC - BIC - ENR - PAT – 20140711, Régime fiscal applicable aux bitcoins). En réalité, qui plus est, ce revenu n’est pas localisé ailleurs que sur l’ordinateur de la personne qui possède ces cryptomonnaies.
 
AdD : Les plus-values latentes générées par la volatilité de ces monnaies virtuelles sont-elles imposables ?

S.P. : Les plus-values latentes générées par la volatilité de ces monnaies virtuelles ne sont pas imposables avant la vente. Si je suis un particulier, qui achète à titre occasionnel 10 ethers à 1 euro qui en valent aujourd’hui 200, tant que je ne vends pas les ethers ou que je ne les utilise pas pour acheter quelque chose, je ne suis pas imposable.

En revanche, la problématique de la fiscalité du trading entre différentes cryptomonnaies n’est pas résolue (par exemple, un échange d'un bitcoin contre un ether), alors même que les échanges sont pratique courante. L’objectif : essayer de jouer sur les variations de valeur pour dégager une plus-value (des dizaines de places de marché existent, comme Kraken, Bitstamp ou Paymium).

Il n'existe pas de réponse claire sur cette problématique à ce jour (BOI-BIC-CHAMP-60-50-20140711, n°740). On peut considérer qu’à partir du moment où il y a échange, il y a deux ventes successives, donc cela peut caractériser la création d’un revenu. Mais en même temps, la personne qui réalise cet échange n’a aucun revenu disponible en euros pour payer son impôt. C’est donc une question ouverte à propos de laquelle des discussions sont en cours avec les services de la Direction de la législation fiscale.

AdD : Les cryptomonnaies sont-elles imposables au titre d’une succession ou d’une donation ?

S.P. : Sur ce point, c’est très simple : les cryptomonnaies sont sujettes à droit de donation et de succession et à l’ISF (CGI, art. 885 D, relatif à l’assiette de l’ISF ; CGI, art. 750 ter ; BOI-PAT-ISF-30-20-10-20140711, n° 80). Des droits d’enregistrement sont donc dus. Il n’y a pas de dispositions particulières qui le prévoient, à part la doctrine administrative, qui indique que le bitcoin entre dans le champ d’application des droits d’enregistrement (BOI-ENR-DMTG-10-10-20-10-20140711, n° 10).
 
AdD : Et qu’en est-il en matière de TVA : les plateformes qui prélèvent des commissions sur les échanges de ces monnaies virtuelles doivent-elle s’acquitter de la TVA ?

S.P. : Une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne de 2015 (CJUE, 22 oct. 2015, 5e ch., aff. C‑264/14, Skatteverket v. David Hedqvist), a jugé que « l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que des prestations de services, telles que celles en cause au principal, qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle « bitcoin », et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients, constituent des opérations exonérées de la TVA, au sens de cette disposition ». L’échange d’euros contre des bitcoins n’est donc pas soumis à TVA parce qu’il est assimilé à une transaction financière. Il n’y a pas de TVA appliquée sur la valeur du bitcoin. Néanmoins, si une commission est prélevée sur la vente, il s’agit d’une prestation de service : la rémunération de cette prestation de service est alors imposable à la TVA.
 
AdD : En dehors des déclarations de soupçon via TRACFIN, l’administration fiscale ne dispose pas d’une transmission automatique de la part des banques sur les opérations réalisées et la détention de ces monnaies virtuelles. Le taux de recouvrement ne doit pas être important, non ?

S.P. : Quand vous avez des cryptomonnaies, l'administration fiscale ne le sait pas et on peut considérer qu’elle n’a pas forcément à le savoir. C’est au moment de la conversion en euros qu’elle y aura accès, via la présence du montant sur le compte bancaire. Avant conversion, c’est donc un actif qui est a priori invisible à l’administration, d’autant qu’il n’existe pas d’obligation de déclaration de wallets bitcoins, ether, ou d'autres cryptomonnaies.

AdD : Est-ce que certains États dans le monde ont une autre approche sur la fiscalisation de ces cryptomonnaies ?

S.P. : Il existe de plus en plus une convergence pour le traitement en bien des cryptomonnaies. Au début, certaines analyses ont qualifié de monnaie ce bien, ce qui entraînait parfois son interdiction puisque la monnaie est le monopole des États. Mais, un consensus se dégage vers une qualification hybride de bien meuble utilisé en tant que moyen de paiement.

Ce n’est pas forcément encore très clair pour tous les pays. Même au sein de l’Union européenne, certains pays ont une approche distincte. Une certaine convergence se dégage néanmoins.

Certains États, qui ont de gros problèmes avec leur taux d'inflation monétaire interdisent le minage de bitcoins, pour atteinte à la souveraineté en matière de création monétaire. Mais ce sont des initiatives qui ne sont pas dans l’air du temps. L’idée, c’est plutôt d’instaurer un contrôle accru de l’utilisation et du fonctionnement de ces cryptomonnaies.
À ma connaissance, il n’existe pas d’initiative internationale convergente sur ce point. L’Union européenne va, a priori, faire quelque chose sur le sujet. Elle a déjà commencé à réglementer les aspects de la lutte contre le blanchiment dans la directive anti-blanchiment (Dir. UE 2015/847, 20 mai 2015, JOUE 5 juin 2015, n° L 141/73). Il y a eu quelques communications assez positives de la Commission européenne et du Parlement européen sur les blockchains en général et sur les actifs blockchain.
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
Source : Actualités du droit