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Initial coin offering (ICO) : ce que prévoit le projet de loi PACTE

Tech&droit - Blockchain
21/06/2018
Le projet de loi PACTE ouvre la possibilité, pour les émetteurs qui le souhaitent, de solliciter un visa préalable de l’Autorité des marchés financiers (AMF). L’objectif de ce visa : offrir une visibilité aux investisseurs sur le sérieux d’une initial coin offering (ICO), prévenir tout abus, mais aussi renforcer l’attractivité de la France (et… éviter que les projets se montent ailleurs).
Quelques chiffres, tout d’abord. Si les offres initiales de jetons numériques (token) au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DLT), comme la blockchain, constituent un phénomène récent (2013), l’année 2017 a marqué un tournant avec environ 4 milliards de dollars levés. Et ce phénomène prend de l’ampleur : mi-mai 2018, 7 ICOs avaient été lancées en France, pour un montant levé de près de 80 millions d’euros, étant précisé qu’une quarantaine prévoyaient de se lancer en 2018 (Projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises, Étude d’impact, p. 345). Des chiffres à mettre en regard avec un autre, celui des porteurs de projet ICO qui se sont adressés à l’AMF au cours des 18 derniers mois : 50, selon Benoit de Juvigny, secrétaire général de l’AMF (Colloque du Conseil scientifique de l'AMF sur les ICO et crypto-actifs, 7 juin 2018).
 
Ce qu’il faut également souligner, c’est que la mise en place d’une ICO repose sur une documentation (le white paper) très éloignée de celle prévalant dans le monde des actifs financiers ordinaires. L’idée, c’est donc, également, d’arriver à une certaine standardisation de ce document, qui donnerait une meilleure grille de lecture aux investisseurs sur les risques réels de leur investissement.
 
Enfin, ce que révèle le dernier rapport de France Stratégie (France stratégie, 21 juin 2018, Les enjeux des blockchains), c’est qu’ « alors que les ressources levées par ICO (Initial Coin Offering) étaient majoritairement destinées à des projets concernant l’amélioration des infrastructures et la finance, on assiste depuis 2017 à une diversification de plus en plus grande, en direction notamment des secteurs des médias, des jeux et de l’internet des objets ». L’heure est donc venue de donner un cadre à ce nouveau type de levée de fonds, mais un cadre suffisamment souple pour ne pas brider ce mode innovant de levée de fonds.
 
Le visa inscrit dans le projet de loi PACTE ambitionne donc à protéger à la fois les acteurs économiques qui ont recours aux ICO mais aussi les investisseurs dans ce type de projet, tout en restant suffisamment souple pour être attractif.
 
Synthèse des objectifs poursuivis
Le dispositif prévu dans le projet de loi PACTE prévoit de/d’ :
- « rendre l’Autorité des marchés financiers compétente pour superviser les émissions de jetons qui échapperait au cadre actuel de la réglementation financière, notamment celui des offres au public de titres financiers ;
- mettre en place au niveau législatif des contraintes minimales (existence d’une personne morale, mise en place d’un dispositif de séquestre), qui pourront être complétées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers ;
- autoriser l’Autorité des marchés financiers à délivrer un visa aux acteurs qui respectent les contraintes posées, permettant ainsi aux investisseurs de distinguer les acteurs légitimes et incitant ces derniers à mener leurs projets en France » (Projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises, Étude d’impact, p. 346).
 
Les définitions apportées par le projet de loi PACTE
Concrètement, l’article 26 prévoit la création d’un régime français des offres de jetons. Il définit les jetons et les ICOs :
 
« Art. L. 552-2. – Aux fins du présent chapitre, constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».
 
« Art. L. 552-3. – Une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons. Ne constitue pas une offre au public de jetons l’offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes, fixé par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, agissant pour compte propre ».
 
Précisions sur le régime du visa optionnel de l’AMF
S’agissant précisément du visa, voici ce que prévoit le projet de loi PACTE :
 
« Art. L. 552-4. – Préalablement à toute offre au public de jetons, les émetteurs peuvent solliciter un visa de l’Autorité des marchés financiers. Les émetteurs établissent un document destiné à donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur. Ce document d’information et les communications à caractère promotionnel relatives à l’offre au public présentent un contenu exact, clair et non trompeur et permettent de comprendre les risques afférents à l’offre. Les modalités de la demande de visa préalable, les pièces nécessaires à l’instruction du dossier et le contenu du document d’information sont précisés par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers ».
 
« Art. L. 552-5. – L’Autorité des marchés financiers vérifie si l’offre envisagée présente les garanties exigées d’une offre destinée au public et notamment que l’émetteur des jetons :
- est constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France ;
- met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre. L’Autorité des marchés financiers examine le document d’information, les projets de communications à caractère promotionnel destinées au public postérieurement à la délivrance du visa et les pièces justificatives des garanties apportées. Elle appose son visa sur le document d’information selon les modalités et dans le délai fixés par son règlement général ».
 
« Art. L. 552-6. – Si, après avoir apposé son visa, l’Autorité des marchés financiers constate que l’offre proposée au public n’est plus conforme au contenu du document d’information ou ne présente plus les garanties prévues à l’article précédent, elle peut ordonner qu’il soit mis fin à toute nouvelle souscription ou émission, ainsi qu’à toute communication à caractère promotionnel concernant l’offre, et retirer son visa dans les conditions précisées par son règlement général ».
 
« Art. L. 552-7. – Les souscripteurs sont informés des résultats de l’offre et, le cas échéant, de l’organisation d’un marché secondaire des jetons selon des modalités précisées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers ».
 
Le champ d’application de ce visa est donc limité :
  • aux personnes morales ayant une présence en France
  • et adressant leur offre, au moins en partie, au marché français.
Autre précision, ce visa pourra être délivré à deux moments distincts :
  • avant la phase de "pré-vente" des jetons (première phase de vente, à un prix privilégié)
  • ou après la "vente privée" (souscription restreinte).
Les points de vérification de l’AMF seront les suivants :
  • existence d’un mécanisme de séquestre des fonds levés
  • contenu du document d’information diffusé aux investisseurs (« white paper »)
L’AMF imposera également des exigences d’information ultérieure des investisseurs (précisions à venir dans le cadre d’une modification du règlement général de l’AMF).
 
Et quel sera le pouvoir coercitif de l’AMF ? Si un porteur de projet ICO ne respecte pas ultérieurement les conditions du visa, l’AMF sera dotée d’un pouvoir de sanctions administratives et pourra retirer ce visa.
 
La réserve du Conseil d’État
Dans son avis du 14 juin dernier, le Conseil d’État a mis en avant le caractère précurseur de cette régulation des ICO, qui poursuit des objectifs d’intérêt général de protection des investisseurs et de lutte contre le blanchiment/financement du terrorisme et « qui n’est imposé ni par le droit de l’Union européenne ni par le droit international et qui présente un caractère optionnel » CE, 14 juin 2018, avis n° 394.599 et 395.021).
 
Toutefois, la haute juridiction administrative a tenu à souligner le caractère provisoire de cette régulation, qui devra certainement être adaptée : « ce régime est susceptible d’évoluer à l’avenir en fonction tant des évolutions technologiques et économiques que du contexte normatif européen et international » (CE, 14 juin 2018, avis n° 394.599 et 395.021).
 
Un premier pas vers la régulation des ICO pourrait donc être franchi cet automne. Restera ensuite à envisager une régulation pour le marché secondaire…
Source : Actualités du droit