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Anne Maréchal, directrice des affaires juridiques de l’AMF : « Avec ce visa optionnel, nous espérons créer un écosystème attractif qui permette d’attirer en France les beaux projets d’ICO »

Tech&droit - Blockchain
22/05/2019
Alors que la loi PACTE vient de paraître au Journal officiel, le point avec Anne Maréchal sur le cadre de régulation et sa mise en œuvre effective (modification du règlement général et instruction). Avec des premiers visas attendus pour cet été. 
Actualités du droit : Pouvez-vous, en quelques mots, rappeler quel est le cadre de régulation mis en place par l’AMF ?
Anne Maréchal : La loi PACTE contient deux volets sur les cryptoactifs ou actifs numériques : le premier concerne les initial coin offerings (offre publique de jetons) c’est-à-dire le marché primaire, et le second, l’encadrement des prestataires de services sur actifs numériques, autrement dit, le marché secondaire. Ces deux volets sont bien évidemment liés.
 
Sur les ICO, la loi PACTE prévoit l’instauration d’un visa optionnel de l’AMF, qui pourra être sollicité par les porteurs de projets qui le souhaitent. C’est un dispositif très nouveau, puisque jusqu’à présent les visas délivrés par l’AMF, par exemple pour des introductions en bourse, sont des visas obligatoires. Cela signifie que des émetteurs pourront mener une ICO en France sans avoir obtenu ce visa. En revanche, les acteurs qui l’auront obtenu bénéficieront d’un avantage compétitif important, puisqu’ils pourront mettre en avant le fait qu’un régulateur a visé le document d’information relatif à l’offre de jetons, et donner en quelque sorte une caution de sérieux.
 
Les acteurs l’ont d’ailleurs perçu comme une possibilité de se différencier des émetteurs moins scrupuleux (et notamment des fraudes ou scam). En sollicitant un visa de l’AMF, ils s’engagent à respecter certaines règles et à donner certaines garanties, contrairement aux autres émetteurs.
 
Précisons que ce visa de l’AMF sera délivré pour une offre au public de jetons et pour cette seule offre. Autrement dit, l’AMF ne donnera pas un visa à une personne (un émetteur de jetons) mais à une opération (une offre au public de jetons). Il importe également de noter que seuls les jetons utilitaires (utility tokens) sont concernés par ces dispositions, autrement dit les jetons qui ne relèvent pas d’une autre réglementation existante comme la réglementation « prospectus » sur les valeurs mobilières.
 
Pour obtenir ce visa, il faudra qu’il y ait un lien de rattachement avec la France : l’émetteur devra être constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France. Ce lien territorial permet notamment de s’assurer que la France profite du bénéfice de ce visa, en termes d’activité et d’innovation.
 
Enfin, aucun visa ne sera délivré à des offres au public de jetons d’ores et déjà en cours de réalisation. Pas de visa a posteriori, donc. L’AMF ne délivrera par conséquent de visa que pour des projets d’offre au public de jetons.
 
Nous publierons une liste blanche des offres au public de jetons ayant reçu le visa du régulateur, ce qui contribuera à protéger les investisseurs qui pourront prendre connaissance des offres visées par l’AMF.
 
ADD : Quelles sont les garanties mises en place par la loi que devra contrôler l’AMF ?
A. M. : Outre le lien de rattachement à la France, la loi prévoit, pour que l’on puisse délivrer ce visa, trois exigences importantes (L. n° 2019-486, 22 mai 2019, JO 23 mai, art. 85 ; C mon. et fin., art. L. 552-2 et s., nouveaux).
 
La première, c’est l’établissement d’un document d’information, le whitepaper (L. n° 2019-486, 22 mai 2019, JO 23 mai, art. 85 ; C mon. et fin., art. L. 552-4, nouveau). Nous allons définir dans les textes d’application qui vont sortir très vite son contenu, mais on peut déjà dire qu’il s’agit d’un document d’information destiné à informer et protéger les investisseurs en leur apportant tous éléments utiles.
 
Le document d’information décrira notamment :
  • l’émetteur ;
  • son projet ;
  • l’offre au public de jetons ;
  • les droits attachés aux jetons ;
  • les risques encourus par l’investisseur : il faudra également des avertissements sur les risques ;
  • la portée du visa : il faudra que le document mentionne en bonne place et expressément que l’AMF ne valide pas les éléments financiers et ne garantit pas le succès de l’opération ; l’AMF vérifiera que les garanties prévues par la loi sont bien apportées, ce qui permettra de donner des assurances aux investisseurs contre le risque de fraude.
 
Deuxième exigence légale, la mise en place d’un dispositif de sauvegarde des actifs levés dans le cadre de l’ICO. La loi exige, en effet, que les émetteurs disposent de moyens permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre, afin d’éviter notamment que les fonds et actifs numériques recueillis soient débloqués n’importe comment ou que les émetteurs disparaissent avec les fonds levés.
 
Les modalités seront définies dans les textes d’application, à savoir dans le règlement général de l’AMF et dans une instruction de l’AMF. Aucun décret n’est requis à cet égard.
 
Dans le cadre de l’instruction du dossier, l’AMF vérifiera que l’émetteur a mis en place une structure solide de nature à nous convaincre de son respect des exigences légales. S’agissant des modalités pratiques de ce dispositif de sauvegarde et de suivi, nous n’avons pas voulu imposer un dispositif particulier dans la mesure où la technologie peut évoluer et que d’autres solutions techniques pourraient émerger. Nous allons donc, dans l’instruction de l’AMF, donner des exemples de dispositif de sauvegarde et de suivi qui répondent aux exigences légales. En pratique, cela pourrait être, notamment, un séquestre traditionnel, un système de multiclefs (avec un tiers indépendant) ou un smart contract. Mais ces dispositifs ne sont pas limitatifs, d’autres présentant des garanties équivalentes pourront être acceptés.
 
La troisième exigence légale, c’est un dispositif de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme. La démarche de l’AMF sera de vérifier que les acteurs ont mis en place un dispositif sérieux à cet égard.
 
En pratique :
- nous contrôlerons qu’un questionnaire de KYC (connaissance du client) des souscripteurs a été prévu par l’émetteur. Nous vérifierons ce questionnaire et ses exigences ;
- nous contrôlerons le système mis en place pour vérifier l’origine des fonds (vérification d’identité, avec très probablement des seuils en fonction des montants souscrits).
 
Nous constatons, toutefois, que les émetteurs ont de plus en plus recours à des tiers professionnels pour effectuer ce type de diligences. Si c’est le cas, l’AMF vérifiera le contrat de prestation, pour vérifier que les exigences posées sont sérieuses.
 
Concrètement, c’est la direction des émetteurs qui instruira la demande de visas. La première étape, pour l’AMF, sera de vérifier si l’on est ou pas dans le cadre de la réglementation applicable aux jetons utilitaires (utility tokens). Si ce n’est pas le cas, par exemple parce que les jetons dont l’émission est envisagée sont des valeurs mobilières, cela exclura bien entendu toute possibilité d’obtenir un visa, puisque ce n’est pas le cadre visé par la loi PACTE (c’est la réglementation « prospectus » qui s’appliquera alors). Ensuite, nous contrôlerons le respect des garanties prévues par la loi aux fins de la délivrance d’un visa de l’AMF.
 
 
ADD : Quel délai sera nécessaire pour obtenir ce visa ? Et quelle sera sa durée de vie ?
A. M. :  Si toutes ces exigences sont remplies, nous délivrerons ce visa dans un délai court. On envisage un délai d’une vingtaine de jours, mais celui-ci ne commencera à courir qu’à partir du moment où le dossier sera complet (les demandes de pièces complémentaires feront donc repartir ce délai).
 
En cas changement ou fait nouveau susceptible d’avoir une influence significative sur la décision d’investissement des souscripteurs potentiels et qui surviendrait entre l’attribution du visa et la clôture de l’offre, nous avons prévu qu’un document d’information amendé devra être établi par l’émetteur de jetons et visé par l’AMF.
 
L’AMF pourra également retirer le visa, si les conditions du visa ne sont plus respectées (C. mon. et fin., art. L. 552-6, nouveau).
 
La loi prévoit des sanctions si des personnes se prévalent de ce visa sans l’avoir (C. mon. et fin., art. L. 621-15, II, e), nouveau).
 
La durée de validité du visa, délivré pour une opération précise, sera limitée dans le temps (probablement 6 mois). Mais si l’émetteur veut monter une autre opération, il pourra solliciter un autre visa de l’AMF.
 
Dernière précision importante, nous allons limiter le bénéfice de ce visa aux offres de jetons qui sont ouvertes à la souscription d’un nombre minimum de personnes. Le seuil de 150 personnes qui devrait être retenu permettra d’assurer que l’AMF ne délivre son visa qu’à des offres faites au grand public.
 
ADD : Avez-vous déjà des demandes de visa optionnel ?
A. M. :  Tant que la loi PACTE n’était pas promulguée et que le règlement général de l’AMF n’est amendé, nous ne pouvons pas recevoir de demandes formelles de visa. Cependant, nous avons rencontré beaucoup d’acteurs depuis plus de deux ans. Nous savons donc que certains effectueront une demande de visa, mais je ne peux pas évaluer exactement le nombre de demandes formelles que nous aurons car certains projets ont pu, depuis, évoluer.
 
Ce qui est intéressant, également, c’est que nous avons des contacts avec des porteurs de projets étrangers (principalement des États-Unis et d’Asie), qui se disent attirés par le visa de l’AMF pour des ICO comme par l’agrément de l’AMF pour des plateformes.
 
ADD : Quand les premiers visas pourront-ils être délivrés ?
A. M. :  Il sera possible d’aller vite, une fois que notre nouveau règlement général sera homologué. Il n’y a pas besoin de décret pour la réglementation sur les ICO.
 
L’instruction de l’AMF est prête, mais nous attendons l’homologation du règlement général de l’AMF.
 
Les acteurs peuvent commencer à venir nous voir et dès que les textes seront publiés, nous pourrons commencer à travailler officiellement.
 
 
ADD : Après la hype de 2017-2018 et le fort déclin en 2019, les ICOs ont-elles encore un avenir ? Ou vont-elles s’effacer au profit des STO ?
A. M. : Il est difficile d’avoir une bonne visibilité, d’abord parce que les choses vont très vite en ce domaine mais également parce qu’il y a un certain lien avec l’évolution du cours des crypto-monnaies. Les cours étant remontés, on peut penser que le nombre d’ICO va repartir à la hausse.
 
Nous voyons peu, pour l’instant, de porteurs de projets de STO, dont on dit qu’elles pourraient être dominantes par rapport aux ICO. À l’AMF, nous n’avons reçu aucun porteur de projet de STO ayant déposé un projet de prospectus. La raison, à mon sens, c’est que ce type d’émissions pose, en l’état, des difficultés juridiques et techniques sérieuses. Les émissions proprement dites apparaissent possibles (un prospectus pourra être requis en fonction des montants levés et des modalités de l’opération) mais il y a un vrai problème de cotation, parce que les textes sur les marchés d’instruments financiers n’ont pas été faits pour la blockchain. Je suis donc assez prudente en l’état. J’entends bien que les STO pourraient être l’avenir, mais je dois constater que ce n’est pas encore le présent.
 
Les ICO ont encore de l’avenir devant elles. Je pense qu’avec la levée des freins réglementaires et les cadres fiscal et comptable clarifiés, il y a une belle fenêtre pour les ICO. La baisse des ICO tient également au fait qu’il y avait beaucoup de fraudes et de méfiance des investisseurs. Le visa de l’AMF pourrait permettre aux acteurs sérieux de gagner la confiance des investisseurs.
 
Le volet sur le marché secondaire et l’encadrement des prestataires de services sur actifs numériques est également important. D’une manière générale, il faut noter qu’en matière d’actifs numériques, nous sommes dans un monde sans frontières. En conséquence, le visa de l’AMF pouvait difficilement être obligatoire.
 
Nous avons fait le pari d’accueillir l’innovation liée à la blockchain et nous espérons créer un écosystème qui permette d’attirer en France les beaux projets.
 
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
 
Source : Actualités du droit