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StopCovid : le déploiement de l’application repoussé

Tech&droit - Données
28/04/2020
Les débats sont décidément loin d’être clos. Le Premier ministre vient, le 28 avril 2020, de retarder la mise à disposition de cette application. Sans toutefois l’enterrer. Le point avec Arnaud Touati, avocat associé, cabinet Hashtag avocats, et Mona Khatab, master I Droit du numérique.
« Pour l’heure, compte tenu des incertitudes sur cette application, je serais bien en peine de vous dire si elle fonctionne et comment elle fonctionnera précisément. Mais je ne doute pas que les ingénieurs parviendront à faire fonctionner ce projet » a indiqué le Premier ministre, le 28 avril 2020. « Mais dès lors que ce n’est pas le cas, il me semble que le débat est un peu prématuré ».
 
Le projet ne serait pas pour autant, et à ce stade, enterré : « » mais je confirme mon engagement, lorsque l’application en cours de développement fonctionnera, et avant sa mise en œuvre, nous organiserons un débat spécifique suivi d’un vote spécifique ». 
 
 Des chercheurs de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) développent actuellement une application bien particulière (v. « Contact tracing » : Bruno Sportisse, PDG d’Inria, donne quelques éléments pour mieux comprendre les enjeux, Inria, 18 avr. 2020).
 
Le gouvernement étudie en effet la mise en place d’une application du nom de « StopCovid » dont l’objectif serait de « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaines de transmission », comme l’a indiqué le secrétaire d’État chargé du Numérique en France[1]
 
Cette idée n’est pas nouvelle en soit. La crise sanitaire que la France traverse existe également au-delà de nos frontières, intra-européennes et extra-européennes. De nombreux pays ont déjà mis en place cette application, dans un contexte, certes, similaire au nôtre, mais avec un tout autre objectif. En Corée du sud par exemple, les personnes en isolement doivent obligatoirement installer le « StopCovid » local sur leurs smartphones afin de limiter le nombre de contaminations dans le pays.
 
 
La spécificité de l’application StopCovid, en France
Si on ne connait pas encore sa date exacte de déploiement en France, il est d’ores et déjà possible d’en définir les contours. Contrairement à l’utilisation qui en est faite en Corée du Sud, l’application « StopCovid » à la française permettrait de tracer les personnes potentiellement atteintes du Covid19 à la suite de leur interaction avec des personnes contaminées par le virus.
 
Il s’agit alors de recourir à une technique dite « contact tracing », permettant de prévenir les individus en cas d’interactions avec des personnes atteintes du virus. Cette application permettrait dès lors de limiter la propagation du virus, en ce sens que les personnes seraient directement notifiées à partir de l’application, ce qui leur permettrait de prendre les mesures nécessaires pour leur bien-être et celui d’autrui.
 
Par souci de transparence, le code informatique de l’application devrait être en open source.
 
Pas de géolocalisation mais le recours au Bluetooth
Comme l’a détaillé le Secrétaire d’Etat chargé du Numérique Cédric O[2], cette application doit avant tout servir à « prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif, afin de pouvoir se faire tester soi-même ». En pratique, la situation se présenterait de cette façon : lorsqu’une personne en croisera une autre, sur une certaine distance et pendant un certain temps, l’application communiquera immédiatement « les références » de l’utilisateur infecté à l’utilisateur non infecté.
 
On a du mal à se figurer une telle approche en France, État où les principes de liberté et de vie privée sont fondamentaux. C’est pourquoi, plutôt que de recourir à une géolocalisation systématique et obligatoire, « StopCovid » fonctionnerait uniquement par Bluetooth. Ainsi, il ne s’agirait pas de transmettre les données d’une personne à une autre sans son consentement, ni même de « traquer » les utilisateurs dans leurs déplacements du quotidien. Comme l’a indiqué Cédric O, cette application devrait permettre de retracer « l’historique des relations sociales qui ont eu lieu dans les jours précédents, sans permettre aucune consultation extérieure, ni transmettre aucune donnée ».
 
Collecte des données personnelles et libertés individuelles : quels risques ?
L’enjeu de cette application réside dans la difficile articulation entre la récolte des données personnelles à des fins d’intérêt général et la protection de la vie privée des utilisateurs.
 
Certes, « StopCovid » a pour intention de limiter la propagation du virus. Cependant, la collecte des données suscite l’inquiétude grandissante de la communauté juridique et au-delà.
 
 
Telle que l’application a été présentée par Cédric O, la récolte se ferait de manière anonyme. Ce qui signifie qu’il serait techniquement impossible de connaître l’identité de celui qui a été infecté. 
 
Dans le même temps, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, indique qu’elle attache une grande importance au consentement des personnes. L’application serait donc utilisée sur la base du volontariat. En principe, le refus d’utilisation ne devrait donc avoir aucune conséquence préjudiciable.
 
La garde des Sceaux a précisé qu’un tel dispositif devra répondre à certaines règles essentielles. Ainsi il ne devra être mis en œuvre qu’à titre provisoire, pendant la période d’urgence sanitaire. De même que les données collectées devront être strictement nécessaires aux finalités poursuivies et le traitement de ces données répondre à une condition de proportionnalité à ces finalités.
 
Le projet final sera soumis au contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) qui contrôlera que le dispositif de tracking a bien un caractère nécessaire et demeure proportionné par rapport à la crise sanitaire et aux risques qu’un tel dispositif peut engendrer. 
 
Des doutes persistent cependant quant à l’efficacité du dispositif. Notamment en raison de son caractère volontaire. Comme le soulignent deux députés, Laure de La Raudière et Eric Bothorel (Communiqué, 15 avr. 2020), « l’efficacité réelle de ces technologies dans ce cadre reste néanmoins à démontrer », et cette application n’est « en aucun cas une solution miracle de premier ordre pour endiguer l’épidémie ». D’autant que le succès d’une telle application est soumis à un usage effectif par au moins 60 % de la population selon une étude de l’Université d’Oxford. Sachant que, relèvent ces deux députés :
  • 75 % des Français possèdent un smartphone ;
  • et qu’après deux semaines de lancement à Singapour, une telle application n’a été adoptée que par 20 % de sa population.
 
Et il ne faut pas négliger, non plus, les difficultés techniques, comme « l’interopérabilité des systèmes de bluetooth entre les différents téléphones et le calibrage de l’application pour prendre en compte un certain nombre de situations complexes », soulignent ainsi Laure de La Raudière et Eric Bothorel.
 
Plus largement, cette application s’inscrit dans un projet européen, le Pan-European Privacy-Preserving Proximity Tracing ou Pepp-PT[3], ayant pour objectif de trouver un moyen de tracer le virus sans porter atteinte à la protection de la vie privée des personnes, tandis que dans le même temps, les géants que sont Google et Apple seraient déjà en pourparlers[4] avec les autorités pour faciliter le traçage numérique par le Bluetooth. 
 
 
Source : Actualités du droit