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Avis de la CNCDH sur le suivi numérique des personnes

Affaires - Immatériel
30/04/2020
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a alerté les pouvoirs publics sur les dangers pour les droits fondamentaux de toute application de suivi de personnes et des contacts, en particulier sur le droit à la vie privée.

Alors que le recours à un outil numérique de suivi des interactions sociales paraît s’imposer comme un élément important du dispositif de sortie du confinement porté par le gouvernement, la CNCDH s’est autosaisie pour alerter les pouvoirs publics sur les dangers pour les droits fondamentaux de toute application de suivi de personnes et des contacts, en particulier sur le droit à la vie privée

On retiendra qu’elle « comprend la préoccupation de l’Etat de vouloir mettre en place un dispositif de déconfinement le plus complet possible pour préserver au mieux la santé des Français ».

Néanmoins, pour son président, Jean-Marie Burguburu, « le recours à une application numérique telle qu’envisagée n’est pas acceptable en l’état au regard des risques d’atteintes aux droits fondamentaux, en particulier du droit à la vie privée. Les nouvelles technologies ne peuvent se substituer à une politique de santé publique ambitieuse ».

Elle estime ainsi que « des risques d’atteintes transversales aux libertés et droits fondamentaux L’éventuelle conformité à la seule réglementation sur la protection des données personnelles n’équivaut pas à un respect des droits et libertés fondamentaux. Des atteintes pourraient être portées à la protection de la vie privée ainsi qu’aux libertés collectives et être source de discriminations voire menacer la cohésion sociale ».
Plus précisément, elle « considère pour avoir un consentement libre et éclairé, les conditions sont difficiles à satisfaire. Ainsi, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme imposent que toutes les personnes soient en mesure de comprendre l’impact des mesures de suivi numérique et de l’utiliser librement sans aucune pression extérieure ».
 
La CNCDH rappelle aussi que « l’existence d’un consentement libre et éclairé est d’autant plus importante qu’il s’agit de données personnelles relatives à la santé. Or, les informations concernant l’application sont à ce jour insuffisantes. En outre, toute la population ne se situe pas à égalité en matière d’accès au numérique et à l’éducation numérique. Du fait de cette fracture numérique, les populations les plus vulnérables, risquent d’être de facto exclues ».
 
De plus, elle « s’inquiète du risque d’altération du libre choix de l’utilisateur liée à la pression sociale de devoir « agir en en citoyens responsables », pression professionnelle, ou encore peur de la stigmatisation ou de mesures discriminatoires découlant de l’usage de l’application. Pour la CNCDH, « des aspects socio-économiques et techniques conduisent à douter de l’efficacité d’une telle technologie au regard de l’objectif recherché de la protection de la santé publique. Outre les limites avérées de la technologie Bluetooth et celles tenant à l’anonymat, la fracture numérique et les inégalités d’accès aux nouvelles technologies rendraient difficiles l’utilisation de cette application pour de nombreuses personnes, et plus particulièrement pour les personnes les plus vulnérables face à la maladie ».
 
On retiendra également que la CNCDH « s’inquiète de l’indétermination de la durée d’application d’une mesure de suivi présentée comme exceptionnelle », c’est la raison pour laquelle « dans la ligne de son avis de 2018, (elle) tient à réaffirmer que le recours aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle ne peut remplacer l’investissement dans une politique de santé ».

Enfin elle « craint, par un « effet cliquet », que le recours à une mesure de suivi, aujourd’hui légitimé par la protection de la santé publique, ne favorise à l’avenir l’usage de ce même type de technologie à d’autres fins ».

Dans ces conditions, elle appelle « les pouvoirs publics à mettre en perspective les effets à long terme induits par le recours à ces mesures, avec ses effets très incertains à court terme sur la propagation du virus ».
 
Remarques
On rappellera que Edouard Philippe lors de la présentation du plan de déconfinement à l’Assemblée nationale le 28 avril dernier n’a pas éludé « les questions » que le déploiement généralisé en France d’une application de traçage des malades du Covid-19 « ne manquerait pas de poser en matière de libertés publiques » en référence aux débats occasionnés par l’application, y compris dans sa majorité.
Il a donc annoncé un vote à une date ultérieure « lorsque l’application en cours de développement fonctionnera, et avant sa mise en œuvre, nous organiserons un débat spécifique, suivi d’un vote spécifique ».
On rappellera également que la CNIL, le CNNum, l’ANSSI et le Conseil national de l’Ordre des médecins ont émis un avis favorable sur le principe même de ce projet d’application tout en les assortissant de réserves dans sa mise en œuvre. Et de demander des garanties supplémentaires pour assurer le respect du droit à la vie privée.

Source : Actualités du droit