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Prolongation de détention provisoire de plein droit : la loi d’habilitation conforme mais…

Pénal - Procédure pénale
03/07/2020
Dans une décision du 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel valide la loi du 23 mars sur les prolongations de détention provisoire de plein droit, mais ne ferme pas la porte à un contrôle de constitutionnalité de l’ordonnance prise sur ce fondement… Explications.
La Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur des dispositions de la loi du 23 mars 2020 (v. Prolongation de détention provisoire de plein droit : la Cour de cassation circonspecte, Actualités du droit, 28 mai 2020). Les questions sont résumées ainsi : « l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, à supposer qu’il crée une prolongation de plein droit de toute détention sans intervention du juge, est-il contraire à l’article 66 de la Constitution  » ?  
 
Pour rappel, l’article 11 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance certaines mesures notamment sur « les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires (…), pour permettre l'allongement des délais au cours de l'instruction et en matière d'audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat » (v. Covid-19 : une future ordonnance pour adapter la procédure pénale, Actualités du droit, 20 mars 2020).
 
Les requérants reprochent à ces dispositions de méconnaître les exigences de l’article 66 de la Constitution qui indique que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et les droits de la défense. Selon eux, ces dispositions prévoient une prolongation automatique, sans l’intervention d’un juge, de tous les titres de détention provisoire prenant fin durant la période d’état d’urgence sanitaire.
 
Le Conseil constitutionnel devait donc s’interroger sur deux points distincts :
- la loi d’habilitation permettant au Gouvernement de prendre une ordonnance prévoyant la prolongation de plein droit de toute détention provisoire est-elle conforme à l’article 66 de la Constitution ?  
- qui est compétent pour juger au sujet d’une ordonnance dont le projet de loi de ratification a été déposé dans les délais, mais non voté ? Et le Conseil constitutionnel peut-il se prononcer sur une loi d’habilitation ou sur l’ordonnance prise sur ce fondement au regard de l’article 61-1 de la Constitution ?
 
 
Un mauvais fondement ?
S’agissant du contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC, le Conseil rappelle qu’il résulte de l’article 66 de la Constitution que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si un juge intervient, et ce dans un délai le plus court possible. Cependant, il soulève que « les dispositions contestées n'excluent pas toute intervention d'un juge lors de la prolongation d'un titre de détention provisoire venant à expiration durant la période d'application de l'état d'urgence sanitaire ». Ainsi, aucune atteinte n’est portée aux exigences de l’article 66.
 
Mais le Conseil ne s’arrête pas là et précise que « L'inconstitutionnalité alléguée par les requérants ne pourrait résulter que de l'ordonnance prise sur le fondement de ces dispositions ». En effet, les dispositions d’une loi d’habilitation ne peuvent dispenser le Gouvernement du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle « notamment les exigences résultant de son article 66 s'agissant des modalités de l'intervention du juge judiciaire en cas de prolongation d'une mesure de détention provisoire ».
 
De là à penser que le Conseil constitutionnel invite à déposer une QPC sur l’ordonnance du 25 mars adaptant la procédure pénale…
 
 
Mais qui est vraiment compétent pour ce contentieux ?
La question n’est pas simple et se pose avec acuité : qui doit traiter du contentieux d’une ordonnance dont le projet de loi de ratification a été déposé dans les délais, mais non voté ? 
 
Rappelons que pas moins de 70 ordonnances ont été prises entre le 12 mars et le 23 juin 2020, sans qu’aucun projet de loi de ratification n’ait été inscrit à l’ordre du jour du Parlement, à ce jour. Dans une décision du 28 mai 2020 (Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-843, QPC), le Conseil constitutionnel disposait que « conformément au dernier alinéa de l'article 38 de la Constitution, à l'expiration du délai de l'habilitation (…), les dispositions de cette ordonnance ne pouvaient plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. Dès lors, à compter de cette date, elles doivent être regardées comme des dispositions législatives ». Autrement dit, le Conseil constitutionnel se déclarait compétent.

Le problème, c’est que le 1er juillet, le Conseil d’État (CE, 1er juill. 2020, n° 429132) s’est également estimé compétent pour connaître d’un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance de l’article 38, non ratifiée, et pour laquelle le délai d’habilitation avait expiré.

Le Conseil constitutionnel semble donc lui répondre dans cette importante QPC du 3 juillet. Il vient en effet de juger que « si les dispositions d’une ordonnance acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité ». Ce serait donc le Conseil constitutionnel qui serait compétent dans cette hypothèse bien précise.
 
Il rappelle également que l’article 38 de la Constitution impose au Gouvernement d’indiquer au Parlement « la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention ». Néanmoins, il ne lui impose pas de faire connaître la « teneur des ordonnances ». Pour autant, le Gouvernement se doit de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle dans l’exercice de ses pouvoirs conférés en application de cet article.
 
 
Le point noir de la crise sanitaire
La prolongation de plein droit des détentions provisoires n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre. Rappelons que depuis sa publication, l’ordonnance du 25 mars n’a cessé d’être critiquée.
 
L’article 16 prévoyait une prolongation de plein droit des détentions provisoires de deux mois en matière correctionnelle lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à 5 ans d’emprisonnement, 3 mois dans les autres cas et 6 mois en matière criminelle et en matière correctionnelle pour l’audiencement des affaires devant la cour d’assises (v. Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit 25 mars 2020). Mais les réactions des professionnels ne se sont pas faites attendre. Nombreux sont ceux qui ont dénoncé une entorse au principe de sécurité juridique (v. Covid-19 : les professionnels vent debout contre l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 8 avr. 2020 et v. Covid-19 et détention : des mesures jugées insuffisantes, Actualités du droit, 16 avr. 2020).
 
Finalement, la situation est vite revenue ʺà la normaleʺ à l’occasion de la loi prorogeant l’état d’urgence, publiée le 12 mai, qui mettait fin aux prolongations de plein droit, les détentions devant, par principe, être prolongées par une décision de la juridiction compétente après un débat contradictoire (v. Détention provisoire : le retour progressif au droit commun, Actualités du droit, 12 mai 2020).
 
Mais cela n’a pas permis de lever toutes les interrogations sur cette situation exceptionnelle. La Cour de cassation s’est d’ailleurs prononcée sur le sujet le 26 mai, estimant que même si le dispositif n’est pas incompatible avec la CEDH, un juge doit examiner dans un « bref délai » la nécessité de la détention. Elle avait donc revu les délais à la baisse et avait décidé d'un 1 mois maximum en matière délictuelle et 3 en matière criminelle (v. Prolongation de détention provisoire de plein droit : la Cour de cassation circonspecte, Actualités du droit, 28 mai 2020). À la suite de cette décision, la ministre de la Justice avait reconnu que « seules 161 (personnes détenues) ont fait l’objet d’une libération parce qu’elles n’avaient pas pu voir un juge. Cela signifie que toutes les autres personnes ont pu rencontrer un juge, comme le demande la Cour de cassation » (v. Covid-19 et justice pénale : la ministre de la Justice fait face aux critiques, Actualités du droit, 12 juin 2020).
 
Le Conseil constitutionnel apporte ici sa contribution à un débat qui, selon toute vraisemblance, n’est pas terminé.
 
 
Source : Actualités du droit